mercredi 30 décembre 2009


F,P,D Univers.En Rumania, cuando la TV es una noticia basura
En Roumanie, quand la télé trash fait l'actualité
François Hauter
30/12/2009 | Mise à jour : 08:08 |

Le Palais du peuple, à Bucarest, derrière une publicité sur un Abribus. Crédits photo : Sylvain GUICHARD/REA
Escale à Bucarest,ville de la révolution télévisée de 1989, où Ceausescu et son épouse furent fusillés en direct. Ici, la liberté passe souvent par la corruption. Et le raffinement n'est pas une valeur promue par les médias.

«On va voir si vous êtes malin : comment a-t-on pu rentrer cet immense tapis dans cette salle de bal ?», demande le guide à un groupe de touristes silencieux, éberlués par l'absurdité du lieu qu'ils visitent. C'est curieux, ce jeune Roumain parle de la taille des lustres, de détails insignifiants, mais ne pose jamais la question qui vient forcément à l'esprit dans ce Palais du peuple qui symbolise Bucarest, avec ses proportions schizophrènes. Mais pourquoi les Roumains sont-ils fiers de ce lieu vide et inutile, construit par le dictateur Ceausescu qu'ils abhorraient tant, un palais qu'ils ont néanmoins fidèlement achevé après sa mort ? Est-ce parce qu'ils sont ravis de pouvoir le qualifier «deuxième plus grand bâtiment du monde après le Pentagone», comme ils l'affirment ? Ou est-ce pour démontrer qu'ils sont bien d'Europe et non originaires d'un incertain pays d'Orient ? Ce pastiche monstrueux, boursouflure incestueuse de Versailles et de Schönbrunn, a l'air d'un faux nez. Peu importe la forme, d'ailleurs. Là-bas, à Bucarest, aux marches lointaines de notre espace européen, les Roumains ont appris à offrir à l'Europe exactement ce qu'elle attend.

Ainsi la patrie de Vlad l'Empaleur, prince de Valachie et fils de Dracul (le diable), a-t-elle mis en scène une révolution il y a vingt ans, avec l'invention macabre d'un massacre à Timisoara, sur lequel les médias occidentaux se sont précipités. Il est désormais établi que les dissidents gorbatchéviens du PC roumain ont fabriqué ce charnier avec des corps récupérés à la morgue pour se débarrasser du stalinien Ceausescu et de son épouse. Et cela probablement avec la complicité du KGB. Partout, il y a vingt ans, en Europe centrale, la rue s'emparait du pouvoir parce que le système soviétique s'effondrait sur lui-même. Le communisme, en Roumanie et en Bulgarie, était plus prévoyant. Il organisait sa survie en prenant les devants, en provoquant une révolution. À Bucarest, il offrait aux 21 millions d'habitants une parodie de procès des Ceausescu. Le «génie des Carpates» et son épouse étaient opportunément accusés de génocide pour le massacre imaginaire de Timisoara, et condamnés à mort. Ils furent exécutés dans l'heure, afin qu'ils se taisent, et leurs cadavres montrés à la télévision. Des méthodes d'épuration 100 % staliniennes pour éliminer un stalinien : le communisme en Roumanie réinventait la révolution à sa façon.


Un capitalisme servi cru



Après avoir lancé les ouvriers contre les manifestants, les camarades ont ensuite fait construire un monument à la gloire du millier de martyrs ayant péri dans les événements qu'ils avaient fomentés. Ce monument, dans le centre de Bucarest, c'est une création folle, à la Ionesco. Une fine et longue baguette sur laquelle semble enfilée une crotte de chien ! Ovidiu Nahoi, rédacteur en chef du quotidien Adevarul (La Vérité), s'en souvient : «La population était heureuse, la révolution en ce sens a été une réalité, la manipulation a été celle du pouvoir.» Pendant les premières années de la «révolution», rien n'a donc changé dans le pays, personne ne sachant vraiment quoi faire de la liberté. Sauf les anciens communistes reconvertis en capitalistes qui se sont partagé l'industrie du pays, et follement enrichis. En 1999, l'intervention de l'Otan en ex-Yougoslavie a ouvert la porte de l'Union européenne à la Roumanie. Les investissements étrangers ont suivi. Le boom économique a pu être qualifié d'«extraordinaire» . Les experts estiment que la moitié de la richesse du pays est concentrée dans la capitale car, comme le remarque le journaliste Christian Mititelu, «tout ce qui se fait avec l'État est marqué par la corruption». Les connaisseurs distinguent deux Roumanie. L'ancienne Transylvanie hongroise, dynamique et plus développée, où sont implantées la plupart des usines étrangères, est située au nord des Carpates méridionales ; l'autre, encore très pauvre, sauf à Bucarest, est au sud.

Je donne ces précisions car, en arrivant à Bucarest, j'ai l'impression de reculer de dix années en arrière par rapport aux pays d'Europe centrale d'où j'arrive. La Roumanie est en retard sur ses voisins. Je décide donc de m'intéresser à ce que l'on peut faire du concept de liberté au début du XXIe siècle sans avoir la moindre culture économique, et juste après avoir été abruti pendant un quart de siècle par l'ancien apprenti cordonnier Ceausescu, devenu «le Danube de la pensée». D'abord on s'endette, on s'achète une Dacia, voiture imaginée par Renault et fabriquée dans le pays. Si l'on arrive à destination - l'engin fait des bruits inquiétants, - on se précipite dans les hypermarchés - il s'en ouvre près de trois cents par an. Enfin, on regarde les chaînes de télé spécialisées dans le people et on lit Click !, tabloïd plein de photos de blondes décolorées. En Roumanie, comme dans le reste de l'Europe centrale, le capitalisme est servi cru. Il «troufignole», comme dirait Louis-Ferdinand Céline. Il vise bas. Il tombe sur la tête des gens comme une noix de coco. Cela commence par la télévision. «Tout le pays est collé à nos émissions, on leur a donné tout ce qu'ils n'avaient jamais vu. On a fait la deuxième révolution dans ce pays, la vraie !», dit Anca Budinschi, la directrice des programmes de Pro-TV, filiale roumaine de Central European Media Enterprises, groupe californien qui touche 97 millions de téléspectateurs dans sept pays d'Europe centrale. Anca m'explique qu'une bonne info au journal télévisé, c'est «un bébé abandonné par sa mère et adopté par une autre femme». Je lui dis que les Roumains sont en avance sur la France : nous n'avons pas encore de télé trash. Anca me fait penser à un personnage d'Houellebecq.


Destruction de la classes moyenne



Après la télé, je visite Click !, je rencontre son rédacteur en chef, Christian Stanca. Le journal, créé il y a trois ans, se vend à 530 000 exemplaires par jour. Lorsque Click ! parle d'économie à ses lecteurs, c'est pour expliquer ce qu'ils peuvent s'offrir avec 20 euros. Ou bien il raconte l'histoire d'un élève amoureux de sa prof qui s'est suicidé, un accident atroce. «On travaille avec beaucoup d'émotion», dit Andrej. Devant son bureau, il a garé son énorme voiture allemande. Click ! en Roumanie, Blesk ! en République tchèque… Les recettes des tabloïds sont presque les mêmes qu'en Allemagne ou en Grande-Bretagne. Dans les pays d'Europe centrale, je constate qu'il n'y a pas d'espace entre les quelques journaux de qualité et la presse de caniveau. C'est également vrai pour les télévisions locales. Plus belle la vie, à Bucarest ou Budapest, serait considéré comme un programme d'art et d'essai. J'en avais eu l'explication en Hongrie, où j'avais croisé le journaliste Jozsej Martin. Il avait voulu lancer un journal destiné aux classes moyennes : «On a réalisé les études de marché, et l'on s'est rendu compte que notre cible n'existait pas.» C'est un point capital. En France ou en Allemagne, c'est la classe moyenne, celle des enseignants, des cadres, des ingénieurs, qui forme le socle de la société. Cette population n'est pas la plus opulente, mais elle est cultivée, ouverte sur le monde, transmet des valeurs.

En Europe centrale, le communisme a broyé ces classes moyennes. Partout, j'ai rencontré des dizaines de professeurs d'université ou de collège, des ingénieurs, des médecins qui se sont retrouvés mis au ban de la société sur des dénonciations de voisins aigris. Dans certaines régions, comme les pays Baltes, ce sont les professions dites «bourgeoises» qui ont été anéanties par des déportations massives. En Roumanie comme en Hongrie, ce sont des dizaines de milliers de gens remarquablement formés qui ont été contraints de fuir leur pays, pour ne pas être cassés par un système kafkaïen. Partout, la survie nécessitait des stratégies réductrices. Des populations abruties, toujours méfiantes, sortent de cette centrifugeuse atroce. Vingt ans, c'était hier. À Bucarest, personne n'est indemne. L'économie, les investissements, les politiques bien ou mal menées n'expliquent pas tout. Peut-on reconstruire des nations sur des âmes brisées ?


"Ideas del hombre y más .......".

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