samedi 1 mai 2010

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Ces chefs-d'œuvre que les pays du Sud veulent récupérer

Mots clés : Musées, Restitutions, Zahi Hawass, LOUVRES, BRITISH MUSEUM

Par Véronique Prat
30/04/2010 | Mise à jour : 21:17
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EN IMAGES - La bataille de la restitution des œuvres que la colonisation, la guerre ou les fouilles archéologiques ont entraînées hors de leur pays d'origine remue fortement le monde de l'art. Données et solutions d'un épineux problème.

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Marbres du Parthénon, rapportés en Angleterre par lord Elgin, puis vendus au British Museum. La Grèce exige leur restitution." border="0">
Marbres du Parthénon, rapportés en Angleterre par lord Elgin, puis vendus au British Museum. La Grèce exige leur restitution.
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Fin 1996, ses proches collaborateurs offraient à Jacques Chirac pour son anniversaire une statuette en terre cuite provenant du Mali. Les photos de la petite fête dans le bureau du Président, publiées par Match, permirent aux responsables du Conseil international des musées (ICOM) d'identifier l'oeuvre: elle provenait d'un lot d'objets saisis par la police quelques années plus tôt sur un terrain de fouilles clandestines, volés pendant leur transfert au musée de Bamako. La statuette avait ensuite circulé dans le réseau du commerce international de l'art. Après plus d'un an de tractations, M. Chirac dut restituer l'oeuvre au musée malien. Nouvelle affaire en avril 2000 lors de l'inauguration au Louvre du pavillon des Sessions, une suite de belles et vastes salles au rez-dechaussée du musée, où étaient rassemblées des oeuvres d'art africain et océanien en préfiguration du futur musée du Quai Branly qui n'ouvrira qu'en 2006. Le quotidien Libération révéla alors que trois terres cuites des civilisations nok et sokoto exposées dans les salles provenaient de fouilles illicites au Nigeria. Le musée les avait achetées deux ans auparavant sur le marché belge pour près de 450 000 euros. Il dut bien sûr restituer les trois oeuvres à l'Etat nigérian.

Et ça continue, encore et encore... Le 14 décembre dernier, à l'occasion d'une rencontre entre Nicolas Sarkozy et le président égyptien, Hosni Moubarak, la France a restitué à l'Egypte cinq fragments de fresques issus du tombeau d'un dignitaire de la XVIIIe dynastie (1550-1290 avant J.-C.), inhumé dans la Vallée des Rois, près de Louxor. Ces fragments avaient été illégalement sortis d'Egypte avant que le Louvre ne les achète en 2000 et 2003 «en toute bonne foi», précisent les responsables du musée français. Dans l'attente du retour des pièces, le chef du Conseil suprême des antiquités égyptiennes (CSA), le vibrionnant Dr Zahi Hawass, avait annoncé haut et fort la suspension de toute collaboration archéologique avec le Louvre. Dans la foulée, il avait de nouveau réclamé le retour au Caire de la célèbre pierre de Rosette, qui permit à Jean-François Champollion de percer le mystère des hiéroglyphes et qui est conservée depuis plus de deux cents ans au British Museum de Londres. Le sulfureux archéologue avait également en ligne de mire le buste de Néfertiti détenu par le Neues Museum de Berlin. Quant au Louvre, sa récente bonne volonté ne lui donna aucun passe-droit: Zahi Hawass réclama aussi à la France Le Zodiaque de Dendérah qui est au musée parisien depuis 1821. »

La rotonde du Neues Museum de Berlin avec, au centre, le buste de Néfertiti. Aujourd'hui, l'Egypte le réclame à l'Allemagne, qu'elle accuse d'avoir sorti l'oeuvre frauduleusement. Ce que récuse bien sûr le musée de Berlin, documents à l'appui.
La rotonde du Neues Museum de Berlin avec, au centre, le buste de Néfertiti. Aujourd'hui, l'Egypte le réclame à l'Allemagne, qu'elle accuse d'avoir sorti l'oeuvre frauduleusement. Ce que récuse bien sûr le musée de Berlin, documents à l'appui. Crédits photo : Pierre ADENIS/GAFF-LAIF-REA

Ces demandes de restitutions se multiplient et se font de plus en plus insistantes. Le problème est épineux: un Etat peut-il réclamer un objet que la colonisation, la guerre ou les fouilles archéologiques ont conduit dans un autre pays? De nombreuses années de débats, de controverses, de discussions ont abouti à la convention de 1970. Mais c'est seulement en 1987 qu'elle fut adoptée par l'ONU par la résolution 42/7. Le long laps de temps entre ces deux dates révèle les innombrables difficultés que soulève la question. Lors du vote, les principaux pays industrialisés de l'Occident, dont ceux de l'Union européenne, les Etats-Unis, l'Australie, se sont abstenus. En effet, ce sont surtout ces pays qui sont concernés par les restitutions: anciennes puissances colonisatrices, elles ont acquis, rassemblé et conservé des biens culturels ayant appartenu aux peuples qu'elles avaient colonisés. Mais elles les ont acquis le plus souvent en toute légalité. Ces pays occidentaux accepteront-ils de se dessaisir de ces oeuvres pour les rendre aux pays où elles ont été créées? De vider leurs musées ethnographiques? Et selon quelles conditions et modalités seraient effectuées ces restitutions? Les pays détenteurs vont-ils les rendre sans contrepartie? Les pays d'origine disposent-ils de moyens de rachat, de conservation, de mise en valeur de ces oeuvres, une fois le retour effectué? En fait, les demandes de restitution, de registres très différents, appellent des solutions diverses.

L'affaire des reliefs en marbre du Parthénon

Premier cas de figure: la pièce revendiquée a quitté son pays d'origine depuis longtemps et légalement, faisant désormais partie du patrimoine de son nouveau propriétaire. L'exemple le plus fameux est celui des reliefs en marbre du Parthénon conservés au British Museum et dont la Grèce réclame à grands cris le rapatriement à la Grande-Bretagne. L'affaire remonte en 1801. Lord Elgin, ambassadeur britannique à Constantinople, avait demandé l'autorisation d'entrer dans l'Acropole. Athènes était alors occupée par l'Empire ottoman, c'est donc le sultan qui accorda son firman, son autorisation officielle, à lord Elgin. Aussitôt, les hommes d'Elgin commencèrent à découper la frise et les métopes du Parthénon pour les emporter en Grande-Bretagne où les marbres furent vendus au gouvernement en 1806 et entreposés au British Museum. Silence jusqu'en 1982 où l'actrice Melina Mercouri lance un appel passionné pour la restitution des marbres à leur propriétaire légitime. En 2009, l'ouverture du musée de l'Acropole a relancé le débat sur le retour des marbres. Les Grecs font valoir que le cas du Parthénon est unique: tous les éléments de sa décoration sculptée composent un seul et même ensemble, conçu et réalisé comme un tout, et comme un élément central de son identité culturelle. Ce que confirme le ministre grec de la Culture: «Ce retour ne doit pas constituer un précédent qui aboutirait à un mouvement général de demandes de restitution de biens culturels par les pays d'origine, privant ainsi les grands musées de pièces de valeur. Nous réclamons seulement le retour des sculptures enlevées du Parthénon et non celui de quelque autre oeuvre que ce soit. Nous voulons uniquement restaurer l'unité d'un monument unique qui est le symbole suprême de l'héritage culturel grec.»

La plupart des grands musées occidentaux gardent un silence prudent sur ce cas d'école. Tous abritent en effet des oeuvres qui ont une histoire similaire: la Vénus de Milo et la Victoire de Samothrace, acquises par la France et aujourd'hui conservées au Louvre. Ou le temple de Pergame (Bergama, en Turquie) démonté par les archéologues allemands et remonté au musée de Berlin. A Berlin toujours, mais cette fois au Neues Museum, le Buste de Néfertiti a fait couler plus d'encre qu'aucun autre objet. Il représenterait la grande épouse royale, femme d'Akhenaton, et serait l'oeuvre du sculpteur Thoutmôsis, actif au XIVe siècle avant notre ère. Il a été découvert à Tell el-Amarna en 1912 par l'archéologue allemand Ludwig Borchardt. Donné au musée de Berlin, il ne sera dévoilé au public qu'en 1924. Depuis, les autorités égyptiennes n'ont cessé de demander sa restitution en affirmant que le buste était sorti illégalement du territoire. Pour faire valoir ses droits, l'Egypte a été jusqu'à solliciter l'intervention de l'Unesco. Ironie de l'histoire: alors que les deux pays se disputent par dépêches officielles interposées, un expert lance un pavé dans la mare en déclarant que le plus célèbre portrait de l'art égyptien est un faux fait au XXe siècle. Décidément, Néfertiti n'a pas fini de faire parler d'elle.

«La Danse» de Matisse, peinte pour un collectionneur privé russe, sera confisquée par Lénine en 1918.
«La Danse» de Matisse, peinte pour un collectionneur privé russe, sera confisquée par Lénine en 1918.

La restitution de biens juifs à des propriétaires privés légitimes, qui s'est amplifiée depuis les années 1990 avec l'ouverture et la publication d'archives de différents Etats, a accéléré le processus. D'après de récentes enquêtes, on estime qu'environ 100 000 oeuvres d'art pillées en France par les nazis ont pris le chemin de l'Allemagne entre 1940 et 1944. A la Libération, une commission de récupération artistique a recensé et consigné toutes les réclamations. A peu près 60 000 objets ont été retrouvés et 45 000 restitués à leurs propriétaires. Reste 15 000 objets dont un millier est considéré comme de grande valeur. En attendant de retrouver leurs propriétaires ou leurs ayants droit, ils ont été confiés à la Direction des musées de France qui les a répartis dans plusieurs établissements à Paris et en province sous le sigle MNR (musées nationaux récupération). Parmi eux, des Chardin, Fragonard, Canaletto, Ingres, Courbet, Cézanne, Matisse, Léger, Picasso, Ernst... Tous les musées européens avaient des plans d'évacuation des oeuvres en cas de conflit. Le Louvre s'était replié à Chambord puis avait dispersé les oeuvres dans différentes caches. Le directeur des musées de France, Jacques Jaujard, s'efforcera de sauver des milliers d'objets dont certains venus de collectionneurs privés tels que les Rothschild ou les David-Weill. Les déplacements d'oeuvres d'art vont encore se compliquer après 1945 quand l'Armée rouge saisira de nombreuses oeuvres d'art en Allemagne. Aujourd'hui, la Russie refuse de les rendre: «Il n'y aura aucune restitution», a prévenu Alexandre Sokolov, ancien ministre de la Culture. La position de la plupart des musées occidentaux, bien que plus nuancée, est très nette: leurs directeurs font remarquer le rôle que jouent leurs institutions dans la promotion du patrimoine culturel universel ainsi que dans le partage mondial des savoirs. Ils ne sont pas seulement au service des citoyens d'une nation, mais au service des peuples de toutes les nations. Et ils sont plusieurs professionnels à se souvenir du vol au Musée national de Kinshasa, à la suite d'un changement de la politique au Congo en 1997. Une centaine d'objets ethnographiques, qui avaient été restitués vingt ans auparavant par le Musée royal de l'Afrique centrale à Tervuren près de Bruxelles, avaient été dérobés; des pièces rares que l'on avait ensuite retrouvées sur le florissant marché mondial de l'art africain. Autre cas d'espèce: les musées ont souvent accepté de mauvaise grâce de restituer des oeuvres que leurs propriétaires légitimes réclamaient comme autant de souvenirs familiaux, mais qu'ils se sont empressés de vendre aux enchères pour en tirer de substantiels bénéfices qui se chiffrent en millions d'euros. C'est le cas d'un chef-d'oeuvre de Gustav Klimt, le Portrait d'Adèle Bloch-Bauer. Confisqué par les nazis en 1938, il était réclamé depuis la fin de la guerre par la nièce et héritière du mari d'Adèle. A l'issue d'un interminable procès qui allait durer plus de sept ans, elle obtint gain de cause, mais elle ne garda le portrait de sa tante que quelques semaines: en juin 2006, on apprenait que le milliardaire et collectionneur américain Ronald Lauder, grand amateur de l'art viennois de la Sécession, avait acquis le fameux portrait pour la coquette somme de 135 millions de dollars.

Tous les cas ne se résolvent pas de manière aussi médiatique et la querelle des restitutions d'oeuvres d'art ne fera que s'amplifier. L'une des solutions serait de laisser les objets là où leur valeur historique et artistique les a placés. Vivons la géographie du patrimoine culturel en concordance avec la mondialisation. Après tout, qu'est-ce que le British Museum, ou le musée du Quai Branly, si ce n'est l'un des lieux où sont rassemblées les cultures du monde? Les oeuvres d'art ont toujours été des messagères.



"Ideas del hombre y más .......".

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