Quand l'histoire se raconte en images

Extrait de «Napoléon Bonaparte» (Casterman).
Si l'histoire peut se faire savante, elle repose sur des aventures humaines dont la bande dessinée se nourrit depuis longtemps. Mais tout n'est pas garantie de qualité, ni de véracité.
Apprendre l'histoire en s'amusant: face à ce souhait, la bande dessinée fait souvent figure de solution miracle. Astérix ne permet-il pas de découvrir Jules César, ou Tintin Al Capone? La sensibilité des jeunes à la puissance de l'image ne suffit pourtant pas à garantir que toute oeuvre du 9e art sera le meilleur guide pour découvrir le passé. Loin de là. Car dans la production globale de la BD, supérieure à 4000 titres par an, l'histoire se trouve conjuguée à tous les niveaux de sérieux ou de fantaisie.
Longtemps la lecture des «illustrés» a fait frémir les adultes, inquiets pour leurs enfants. Les éditeurs de publications pour la jeunesse y répondirent par des oeuvres à vocation éducative et édifiante. Ainsi, à partir des années 1950, le scénariste Yves Duval signa pour le journal Tintin plus de 1500 Histoires authentiques. En quatre planches, elles formaient un récit complet en ouverture de l'hebdomadaire. Grands savants, militaires, vies de saints: une bibliothèque de l'héroïsme et de l'exemplarité, dont on retrouve aujourd'hui des rééditions remarquables, avec, par exemple, Monsieur Vincent. L'ami des pauvres, oeuvre oubliée de Raymond Reding (1).
Le journal Spirou ne fut pas en reste, avec ses célèbres Belles Histoires de l'oncle Paul, qui bercèrent des générations de lecteurs. Depuis quarante ans, les choses ont bien changé. Au début des années 1980, Jacques Glénat, alors jeune éditeur, crée la collection «Vécu», qui renouvelle le genre historique par l'introduction de fictions dans une époque ciblée. Coup de maître avec Les 7 Vies de l'Epervier, dont l'ambiance poisseuse rompt avec l'hagiographie, c'est le moins qu'on puisse dire: coucheries et turpitudes à la cour d'Henri IV,les années 1970 sont passées par là.
Depuis, le marché de la bande dessinée explose et s'industrialise, avec l'essor de la science-fiction et de la fantasy. Dès lors, l'histoire fait de plus en plus office de réservoir à décors, costumes, symboles, péripéties... et clichés, où s'en donne à coeur joie l'imaginaire d'auteurs parfois incultes. Dès lors, la frontière entre invention et authenticité se brouille. De nos jours, l'éditeur Delcourt se place dans cette lignée, avec sa collection «Histoire histoires», qui dit s'intéresser aux «univers historiques» afin d'«inventer de nouvelles fictions et pourquoi pas, réinventer l'Histoire»! CQFD. Et pourtant, une série telle que Le Trône d'argile a le mérite d'explorer de façon passionnante les conflits de succession de la guerre de Cent Ans (2).
Dans la profusion actuelle des titres, des éditeurs se distinguent néanmoins par leur soin à aborder l'histoire avec plus de sérieux que de désinvolture.
Le plus étonnant est sans doute l'opiniâtre Reynald Secher, docteur en histoire qui, avec sa propre maison d'édition, et sans le soutien d'aucun diffuseur, cherche, avec méthode et à petit prix, à «vulgariser ses travaux par l'image». Utilisant la bande dessinée comme instrument pour toucher le grand public, il y concentre le maximum de connaissances, au risque d'un académisme parfois trop formel. Mais son Histoire de Bretagne en dix tomes a connu un succès réel, preuve d'une attente sur ce créneau (3).
Les Editions du Triomphe, quant à elles, s'inscrivent dans la tradition des publications des années 1950, avec «des histoires vraies de personnages célèbres ou à connaître». «Plus personne ne le faisait», explique leur fondateur, Didier Chalufour. Après avoir réédité des titres délaissés de Jijé, ce dernier a créé sa propre collection, «Le Vent de l'Histoire». Un créneau archiclassique, avec, par exemple, ses récents Cadets de Saumur ou Vauban (4).
Dans la lignée du géant que fut Jacques Martin, créateur d'Alix, et féru d'antiquité, l'éditeur belge Casterman dévoile un fort tropisme vers les drames ancrés dans l'histoire. C'est même une galaxie de titres, assez inégaux, qui, sous la bannière «Jacques Martin présente», permettent de voyager à travers tous les siècles, et sous toutes les latitudes. Une bonne surprise est arrivée récemment, avec un superbe Napoléon Bonaparte (5). Mais d'autres auteurs s'y distinguent aussi, tels Hugo Pratt et ses Histoires de guerre enfin éditées (6), Tardi, bien connu pour son traitement de la Grande Guerre, ou Maryse et Jean-François Charles qui, avec Africa Dreams, poursuivent leur visite du passé européen, ici au Congo belge. L'éditeur témoigne souvent, cependant, et c'est là un enjeu de taille, d'un traitement des sujets selon la mentalité la plus contemporaine. Vocabulaire inadapté, laïus politiquement corrects, désenchantement nihiliste: raconter le passé avec l'anachronisme constant de la morale moderne, incarnée dans les personnages et les péripéties, ce n'est pas loin de la tromperie. On touche là l'identité de la bande dessinée. Outil narratif, elle impose une dramatisation au récit, l'appel aux émotions, et privilégie l'identification du lecteur à un personnage principal. Support ramassé, elle contraint à la sélection, sinon à la simplification. Instrument visuel, elle informe par l'image, tout en cherchant le spectacle. Il reste donc, face à chaque album, une question finale et déterminante: bande dessinée et histoire, qui sert qui?
(1) Monsieur Vincent. L'ami des pauvres, de Raymond Reding, 60 p., Les Editions du Lombard, 19 euros.(2) Le Trône d'argile, de Nicolas Jarry, France Richemond, Theo et Lorenzo Pieri, 4 tomes parus, Delcourt, 12,90 euros.(3) Editions Reynald Secher, www.reynald-sechereditions. com, 9,80 euros l'album.(4) Editions du Triomphe,www.editionsdutriomphe.fr, 14,50 euros l'album.(5) Napoléon Bonaparte, t. 1, de Jean Torton et Pascal Davoz, Casterman, 12,90 euros.(6) WWII. Histoires de guerre, d'Hugo Pratt, Casterman, 45 euros.
"Ideas del hombre y más .......".

















Véronique Prat
EN IMAGES - La bataille de la restitution des œuvres que la colonisation, la guerre ou les fouilles archéologiques ont entraînées hors de leur pays d'origine remue fortement le monde de l'art. Données et solutions d'un épineux problème.




Marbres du Parthénon, rapportés en Angleterre par lord Elgin, puis vendus au British Museum. La Grèce exige leur restitution." border="0">
Têtes de souverains et Reliefs historiés provenant du royaume d'Ifé, Nigeria, qui les réclame au British Museum." border="0">
La pierre de Rosette, entrée au British Museum en 1802, aujourd'hui réclamée par l'Egypte." border="0">
Zodiaque de Dendérah, exposé au Louvre depuis bientôt deux siècles, mais l'Egypte exige son retour." border="0">
Têtes de la civilisation nok, nord du Nigeria, conservées au musée du Quai Branly. Leur exportation est désormais interdite." border="0"> 
Léger, Femme en rouge et vert. En l'absence de toute certitude quant aux héritiers, l'oeuvre reste au centre Pompidou, MNAM." border="0"> 
Véronèse, Les Noces de Cana. Rapportées à Paris par Bonaparte. Il y a peu de chance que l'oeuvre quitte le Louvre pour retourner à Venise où elle était conservée jusqu'en 1797." border="0"> 
Statue de Ramsès II, musée de Turin. Réclamée par l'Egypte à l'Italie." border="0"> 
Buste de Néfertiti, le fleuron du Neues Museum de Berlin. Réclamé par l'Egypte depuis trente ans." border="0"> 
Klimt, Portrait d'Adèle Bloch-Bauer. Le musée du Belvédère de Vienne a dû le rendre en 2006 à la dernière descendante de la famille Bloch-Bauer qui vit à Los Angeles." border="0"> 
Vermeer, L'Art de la peinture, Vienne, Kunsthistorischesmuseum. Acheté par Hitler en 1940 au comte Czernin dont les héritiers réclament aujourd'hui la restitution." border="0"> 
Gauguin, Jour de repos, Saint-Pétersbourg, Ermitage. Confisqué dans la collection de SergueïChtchoukine. Réclamé par son héritier." border="0"> 
Van Gogh, Portrait du Dr Rey Moscou, musée Pouchkine. Confisqué dans la collection de Sergueï Chtchoukine. Réclamé par son héritier." border="0"> 
Trésor de Troie, volé par les Russes aux Allemands en 1945 et caché dans les réserves du musée Pouchkine à Moscou. Il réapparaît en 1993. Depuis, l'Allemagne le réclame.(photo : Sophie Schliemann porte ici une parure issue de ce trésor.)" border="0"> 
Matisse, La Musique, confisquée au collectionneur Chtchoukine, en 1918, déposée à l'Ermitage de Saint-Pétersbourg, aujourd'hui réclamée par l'héritier de Chtchoukine." border="0"> 
Cézanne, Les Baigneurs, Moscou, musée Pouchkine. Confisqués dans la collection d'Ivan Morosov. Réclamés par son héritier." border="0">