samedi 26 décembre 2009


F,P,D Univers.Pologne : la chevauchée des «golden boys»
François Hauter
23/12/2009 |

Des jeunes sautent à l'aide de «PoweriZers», un nouveau sport en vogue à Varsovie, le 7 juillet dernier. Crédits photo : ASSOCIATED PRESS

À Varsovie, le dynamisme des entrepreneurs est en train de faire de ce pays le nouveau tigre de l'Europe. Les groupes étrangers y ont installé la tête de pont de leurs investissements dans la «Mitteleuropa».

Rendez-vous au 24e étage de sa tour de verre, avec Maciej Witucki. Il a 42 ans. Ce beau gosse dirige Telekomunicaja Polska, filiale à 49 % de France Telecom. Avec ses 24 000 employés, Maciej réalise un chiffre d'affaires de quatre milliards et demi d'euros. Je le cueille à la sortie d'une réunion avec ses dix-huit syndicats.

Les réunions avec ces organisations n'étant jamais des parties de plaisir, je lui demande, pour être poli : «Alors, ça s'est bien passé ?» Il répond : «Parfaitement ! Ils ont commencé la réunion en me disant : les syndicats français de France Télécom ont obtenu un milliard d'euros de leur PDG, parce qu'il y avait des gens déprimés et des suicides chez eux. L'adaptation à l'entreprise privée est vraiment très, très dure en Pologne, aussi ! Alors, combien allez-vous nous donner, à nous ? Je leur ai répondu : «Pas un sou ! Nous, on n'est pas des c… molles !» Comme tout le monde acquiesçait, on est passé au sujet suivant.»

Bien entendu, Maciej me raconte cette histoire pour que je la répète. C'est bien dans le style polonais, ce côté bravache. Imagine-t-on un centralien comme lui dire ce genre de choses, en France ?

Après les lamentations russes entendues à la frontière entre l'Estonie et la Russie, c'est très rafraîchissant de retrouver les Polonais, avec leur cocktail unique d'individualisme farouche, d'héroïsme imbécile, d'opiniâtreté, de courage, d'anarchie, de nostalgie jamais triste, de fierté et de panache. Les gens ici sont débrouillards, inusables au travail, tricheurs, brutaux, ils ont remarquablement appris à mentir. Ce n'est pas un hasard s'ils se sont massivement installés à Chicago, la deuxième ville polonaise au monde, qui est le muscle de l'Amérique. J'aime ce peuple qui gagne des batailles, pas les guerres, mais qui cependant ne s'avoue jamais vaincu. Des spécialistes de l'action fulgurante, au dernier moment, lorsque tout est déjà perdu. Dans leur hymne national, ils chantent : «Napoléon nous a donné l'exemple !» Tout un programme.

Une transformation ahurissante

Trente ans après Solidarnosc, la Pologne est le tigre de l'Europe. Nulle part dans la région, je ne vais trouver pareil dynamisme, une volonté aussi carrée de hisser le pays au sommet. Varsovie, il y a vingt ans, m'était apparue comme une ville endormie, sombre, figée, triste. Aujourd'hui, les tours scintillent. On construit des «Platinium Towers». La radio dans les taxis hurle She Got It !. Les grandes surfaces commerciales sont plus nombreuses qu'en France. La transformation est ahurissante. Même dans la tourmente de la crise financière, le pays s'offre le luxe d'un taux de croissance toujours positif. Une performance unique, parmi les pays occidentaux.

La Pologne est pressée. «Pour rattraper l'Europe occidentale, nous devons afficher un taux de croissance deux fois supérieur à ceux de l'Allemagne ou de la France, c'est-à-dire un minimum de 3 %», m'explique Leszek Balcerowicz : l'ancien ministre des Finances qui fut en 1989 l'artisan de la «thérapie de choc», avant qu'il ne devienne le gouverneur de la Banque centrale. Il raconte comment les gens acceptent en Pologne les mesures douloureuses : «Notre problème numéro un a été celui de la réforme des retraites, commencée en 1999. On pousse les gens à travailler plus longtemps, ce qui amène l'État à dépenser moins. C'est crucial. Mais ces réformes sont passées sans problèmes sociaux, avec un large consensus. C'est exemplaire.» Pour Malek Ostrowski, l'un des rédacteurs en chef de la revue Politika, «il y a deux raisons à notre succès : d'abord, nous travaillons plus dur que les Hongrois. Ensuite nos banques ne se sont pas embarquées dans des affaires délicates, parce qu'elles ne les comprenaient pas.» Jan Winiecki, conseiller de la West LB Bank Polska et professeur d'université, constate : «Ces deux dernières décades ont été les plus dynamiques pour la Pologne, depuis quatre siècles.»

Presque tous les pays de la zone, il y a vingt ans, ont été fascinés par les États-Unis et ses gourous économiques, qui ont plongé le monde dans la crise financière dont nous sortons laborieusement. Ces pays ont adopté les théories économiques de Milton Friedman et des Chicago boys. Le dogme ? C'est à travers le marché libre que les citoyens pourront affirmer leur liberté individuelle de consommateurs. Cette liberté doit donc être la plus absolue possible. Les salaires minimums, les politiques visant à élargir l'accès à l'éducation, toutes ces théories keynésiennes, sont bonnes à jeter aux orties.

Le «néolibéralisme» va trouver son terrain d'expérimentation idéal en Europe centrale, puisqu'il faut profiter des crises, des attentats ou des révolutions, pour imposer ces thérapies de choc et purifier les économies des politiques sociales-démocrates européennes. Les dégâts seront considérables. Sauf en Pologne.

Comment l'expliquer ? Bastien Charpentier, le PDG de la banque Lukas, une filiale du Crédit agricole, constate que les Polonais «n'ont pas de moteur collectif, ils s'en tirent individuellement par leur courage au travail. Presque tous ont eu faim. Ceux qui font bouger les choses sont des jeunes cadres aux carrières fulgurantes, qui n'ont pas travaillé sous le communisme.» Andrej Klesyk a d'abord créé une banque d'Internet. Il l'a revendue. Il a ensuite dirigé PKDP, la plus grosse banque polonaise, avant de prendre en charge PZU, la compagnie d'assurance numéro un du pays, un monstre administratif qu'il réforme en profondeur, avec 16 000 employés. Son bénéfice en 2009 ? Un milliard d'euros. Il est un parfait exemple de ces cadres dont parle Charpentier. «Je suis le plus âgé des managers professionnels polonais, dit-il, et je suis arrivé au bon moment pour faire la Harvard Business School, puis mon apprentissage chez McKinsey. Dans ce pays, tous les «smart guys» (les gens intelligents, NDLR) sont allés vers les affaires. Le libéralisme a fonctionné en Pologne parce que la propriété privée n'a jamais vraiment été supprimée sous le communisme. Ils n'y sont pas arrivés.»

J'ai rendez-vous en face du ministère de la Défense, dans la superbe maison 1930 qu'habitait Lech Walesa lorsqu'il présidait le pays, entre 1990 et 1995. La villa abrite maintenant Lewiatan, l'association des PME-PMI polonaises, présidée par Henryka Bochniarz. Cette femme de fer défend le processus de privatisation de l'économie : «C'est un problème de responsabilité à assumer, dit-elle. Si l'argent sort de votre poche, vous raisonnez différemment !» Elle ajoute : «L'économie polonaise marche bien parce que tous les Polonais ont l'habitude de survivre dans des environnements hostiles. On ne peut compter sur personne, et surtout pas sur l'État. Cet esprit-là, c'est notre principal capital, et c'est pourquoi on a démarré au quart de tour au moment du changement de régime.»

Le boom des infrastructures

Par son poids démographique - 38 millions d'habitants -, la Pologne est un géant en Europe centrale, où seule la Roumanie (22 millions de personnes) est en mesure de se comparer à elle. Toutes les autres nations de la région ont entre 1,3 et 10 millions d'habitants. Le marché polonais pèse lourd, et explique pour une bonne part le succès : les groupes étrangers ont fait de la Pologne la tête de pont de leurs investissements dans la «Mittel Europa».

C'est maintenant le boom dans les infrastructures. Le pays va investir huit milliards d'euros dans des lignes de TGV, et quatre milliards l'an prochain dans les autoroutes. L'argent pourtant, dans ce pays extrêmement catholique, demeure un tabou, il est synonyme de corruption. Jamais le président de la République polonaise ne serrerait les mains d'un seul des hommes d'affaires que j'ai rencontrés. Dans les entreprises publiques, les PDG ne peuvent pas gagner plus de dix fois le salaire moyen. «J'ai un salaire ridicule, mais je fais cela pour mon pays. Je paie ma dette à son égard», me dit Andrej Klesyk, le patron de la société d'assurances PZU.

Maciej Witucki, lui, gagne 500 000 euros par an, il fait «des provisions» pour se lancer plus tard dans la politique. «Il le faut bien, car un ministre est payé 1 500 euros par mois !», dit-il en riant. Dans sa société, il a monté une fondation qui a installé gratuitement l'Internet dans 14 000 écoles du pays. «Nous multiplions les actions de volontariat, explique-t-il, car il est plus difficile de faire bouger les élites que la base de la société. Et, à ce niveau, ça bouge. Nous sommes passés d'une société ennuyeusement homogène à une société où il est bon ton de se vanter de ses origines juives, d'aller déjeuner de sushis et de dîner vietnamien, de danser la salsa ou d'organiser nos propres téléthons.» Reste à savoir si les bons chefs d'entreprises feront un jour de bons hommes politiques. Cela n'a été démontré nulle part. Mais la Pologne est tellement singulière…


"Ideas del hombre y más .......".

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