samedi 11 juillet 2009


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Colette, l'ingrate libertine
Élisabeth Barillé
10/07/2009 | Mise à jour : 16:36 |

Colette, féline vers 1907 apprécie déjà les créatures rugissantes. Crédits photo : (Rue des Archives/Collection Bou)

Pendant une dizaine d'années, l'auteur de «Chéri» entretint une relation complexe avec une marquise saphique. On publie leur correspondance inédite. Savoureux et cruel.

Le 28 janvier 1953 : la république des lettres célèbre, sous un déluge d'éloges, le 85e anniversaire du seul écrivain vivant capable de fédérer Henry de Montherlant, Truman Capote et Simone de Beauvoir : Colette. Assignée par l'arthrite à son divan- radeau autour duquel serpente sa collection de presse-papiers, « la déesse-mère », comme la désigne l'auteur du Deuxième Sexe, reçoit les hommages avec l'impassibilité d'une vieille lionne de cirque. On la filme, on l'interviewe, on l'encense. Quels lestes souvenirs réveillent, par éclairs, l'acier éteint de ses prunelles ? L'avertissement de Jean Lorrain lui trotte-t-il en tête ? «Rien n'est plus facile que d'avoir une mauvaise réputation, mais tu verras, plus tard, quel mal on a pour la garder.» La «bonne dame du Palais-Royal» se revoit-elle en momie d'opérette sur la scène du Moulin-Rouge, enlacée à l'énigmatique duchesse de Morny, première star douloureuse du «transgenre», morte neuf ans auparavant, dans l'indifférence de «l'insupportable enfant» qui lui avait juré un amour éternel, mais qui, en fait d'éternité, embrassa prudemment celle du style.

Les écrivains se méfient-ils assez des lettres qu'ils rédigent à tout vent ? Mesurent-ils les risques qu'ils font encourir à leur image posthume en confiant au courrier ces lambeaux d'intimité susceptibles de devenir plus tard d'encombrants témoins à charge ? Patiemment rassemblées durant un quart de siècle par le collectionneur Michel Rémy-Bieth, « colettomane » passionné, les Lettres à Missy * jettent sur l'écrivain une lumière dont la femme ne sort pas vraiment grandie. Certes, l'amour n'est pas un sentiment honorable ; reste qu'on peut lui faire honneur, en remplaçant, une fois l'amour fini, les grands élans du corps par ceux du cœur. Colette le fit-elle ? Cette formidable correspondance montre que non.

Quand elles se rencontrent en 1905, au cercle des Arts et de la Mode, l'ingénue libertine a déjà visité Lesbos. Natalie Barney, Lucie Delarue-Mardrus, deux noms célèbres parmi ceux qu'on chuchote dans le complaisant sillage du mari, Henri Gauthier-Villars, dit Willy. Le couple, vieux de douze ans, bat de l'aile. Willy ne fait pas mystère de sa liaison avec Meg Villars. Maquereau dans l'âme, qu'il a complexe, l'auteur revendiqué des Claudine comprend l'intérêt qu'il a de jeter sa jeune épouse dans les bras d'une aristocrate adepte des caleçons, du haut-de-forme et du cigare. Et riche à millions. Dernière fille du demi-frère de Napoléon III, arrière-petite-fille de l'impératrice Joséphine, Sophie Mathilde Adèle Denise de Morny, récemment divorcée du marquis de Belbeuf, jouit d'une immense fortune. Placer Colette sous sa protection, c'est alléger sa conscience d'homme volage et criblé de dettes.

La presse se déchaîne vite contre la liaison d'une «désaxée et d'une théâtreuse». Car Missy et Colette ont pris des cours de pantomime auprès de Georges Wague. Le 3 janvier 1907, elles débutent au Moulin-Rouge dansRêve d'Egypte. «Pantomime signée par Mme la Marquise de Morny», lit-on sur l'affiche ornée des blasons des Morny et des Belbeuf. La fougueuse étreinte du final déclenche les vociférations du public. Saisi du scandale, le préfet de police Lépine interdit le spectacle. Pour Missy, offerte à la calomnie publique, un calvaire commence ; pour Colette, gagnée par le virus de la scène, une vie d'actrice. Elle reprend le rôle de Claudine, dans la pièce adaptée par Willy et Luvey, ainsi que La Chair, aux côtés de Georges Wague.




De Paris, Missy veille au confort de sa vagabonde. Les lettres des années 1908 et 1909 fourmillent de détails sur les hôtels modestes, les enrouements de gorge, et le contenu des assiettes : «Les crevettes sont énormes ici, et d'une fraîcheur!», écrit-elle de Bordeaux, tandis qu'à Bruxelles, elle loue les viandes grillées du Métropole. La gourmande reste amoureuse, mais ce qui frappe, c'est la puérilité enrobant chaque aveu. Jouer les petites filles : un rôle endossé pour Willy, et qu'elle reprend, revendiquant, malgré ses 35 ans bien sonnés, les titresd'«odieux enfant», de «faux enfant puni», sommant sa protectrice de tout pardonner au nom de l'amour. Mais quel amour, au juste ? La longue lettre envoyée en juin 1909 de Marseille dévoile l'ambiguïté du lien : «Mon pudique petit Missy, il n'y a vraiment que le mot amour qui puisse servir pour dire la complète, complexe, et exclusive tendresse que j'ai pour vous.» On est loin de la passion ! Missy n'est pas dupe. Des amours intéressées, elle en a connu ; et Colette, malgré ses failles, n'est-elle pas, de toutes, la plus intéressante ?

En septembre 1910, le nom d'Auguste Hériot apparaît dans la correspondance. Missy, bon prince, accueille le rival à Rozven, son manoir breton, pour l'achat duquel Colette a servi de prête-nom. Au printemps 1911, Henry de Jouvenel occupe à son tour le cœur d'une séductrice dont une Missy meurtrie mais glacée ne parle plus qu'avec distance. La rupture advient le 2 août 1911. Colette ne restitue pas Rozven à sa vraie propriétaire, laquelle abandonne les lieux sans un mot de reproche, en grand seigneur qu'elle reste en toutes circonstances. Le silence n'est rompu qu'en 1932, quand paraît Le Pur et l'Impur. Missy goûte peu d'apparaître sous les traits d'une «Chevalière» dont «le salace espoir des femmes» effare, écrit Colette, «le naturel platonisme». Désormais, la courtoisie n'est plus qu'un vernis. L'une chemine vers la gloire, l'autre entame sa descente aux enfers. La correspondance s'achève en juin 1940. Quatre ans plus tard, un «vieux monsieur» est retrouvé mort dans sa cuisine, la tête dans le four. Sacha Guitry, qui réglait discrètement ses notes dans les bistrots où, désormais ruinée, la marquise prenait seule ses repas, se charge des funérailles. Douze personnes suivront son cercueil. Colette, l'ingrate, s'en gardera.


"Solo ideas del hombre".

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