À travers la Perse
Mots clés : Marco Polo, Perse, Devisement, série d'été
Jean-Louis Tremblais23/07/2010 | Mise à jour : 18:24 Réactions (3)
Surgi des sables et du passé, le caravansérail de Zein-o-Din a la beauté troublante des mirages. Bâti au XVIe siècle et transformé en hôtel, il se trouve à 60 kilomètres de Yazd, Crédits photo : FIGARO MAGAZINE
C'est la porte de l'Orient. Avant de gagner l'Asie centrale, Marco Polo sillonne la Perse, d'ouest en est. Et découvre une civilisation millénaire, un carrefour commercial, un enchantement sensoriel.
Lorsque Marco Polo découvre Tabriz, au printemps 1272, il vient de traverser la Cilicie et les deux Arménies (la grande et la petite, dans l'actuelle Turquie). Jusqu'ici, il n'a eu qu'un avant-goût de l'Orient, un succédané transitoire. Avec Tabriz,« grant cité et noble » , il pénètre au cœur du sujet. Cette métropole commerciale est alors une étape incontournable et incontournée pour ceux qui font le voyage de Chine. Les Mongols viennent de s'en emparer mais l'ont épargnée, chose rare. Mieux, l'ilkhan de Perse (1), Ghazan, sédentarisé et converti à l'islam, en fera sa capitale en 1295, y attirant savants et artistes, bâtisseurs et architectes.
De ce faste d'antan, il ne reste pas grand-chose. Ravagée par des séismes à répétition, Tabriz est aujourd'hui une agglomération moderne, vouée au béton et au goudron. Y subsiste néanmoins ce qui frappa tant le Vénitien:le plus grand bazar d'Iran, classé au patrimoine de l'humanité par l'Unesco. Trente-cinq kilomètres de galeries couvertes de voûtes et de dômes, regorgeant de ces marchandises qui firent rêver les Européens:épices, étoffes, tissus, métaux, bijoux, pierres précieuses. Il faudrait plusieurs semaines pour explorer chaque recoin, chaque échoppe de cet étourdissant dédale, où vendeurs et chalands s'interpellent dans toutes les langues:turc, farsi, azéri (c'est la capitale de la province d'Azerbaïdjan oriental).
nous signale l'auteur du Devisement. Cap donc sur le quartier des tisserands et des tapissiers, groupés dans l'artère Mozaraffieh. Ils sont l'élite et l'orgueil du bazar. Et ils le savent. Tandis que des portefaix musculeux, chargés de carpettes ou tirant une charrette à bras, se frayent un chemin parmi la foule, les marchands déroulent et bichonnent leurs tapis les plus beaux, les plus chers, dans l'allée centrale. Les soumettent à l'admiration et à l'appréciation des badauds. Certaines pièces représentent des années de travail. La variété des motifs est infinie, du plus classique (à médaillon central avec variations florales) ou du plus rustique (les kelims des tribus nomades) jusqu'au plus étonnant, voire au plus déroutant:reproductions de Watteau ou de Vinci (la Joconde !), pulpeuses paysannes, captives en tenue légère, gynécées suggestifs ou odalisques alanguies... Le tout sous le portrait des deux guides de la révolution islamique, les ayatollahs Khomeyni et Khamenei (son successeur), scrupuleusement affichés entre chaque boutique.
Ebloui par les turquoises de Nichapur, Marco Polo évoque leur éclat dans son récit. (Éric Martin/Le Figaro Magazine)
Dans son ouvrage, Marco Polo recense aussi les différentes catégories de population:« marchands latins » (ses concurrents génois), ainsi que plusieurs communautés chrétiennes (Géorgiens, Arméniens, Nestoriens et Jacobites). De fait, on trouve une demi-douzaine d'églises à Tabriz, dans le quartier arménien de Baron Avak. Encore faut-il les chercher car elles se font discrètes. C'est le cas de Sainte-Marie, édifice décrépit, sans lustre ni charme, qui nous a tout l'air d'être à l'abandon. Les seuls fidèles présents sont deux pigeons qui batifolent entre un tableau de saint Vincent de Paul et un crucifix mal en point (Jésus, qui ne tient plus sur la Croix que par un clou, manque de stabilité). Pas de sièges, pas d'autel, pas de curé. « Il vient de mourir, explique le diacre. Le toit menace de s'effondrer. On a fermé pour les travaux. » En temps normal, assure-t-il, une messe dominicale (en arménien, en latin ou en français, car les lazaristes sont ici présents depuis des lustres) réunit 80 personnes. Pressé d'en finir avec ses paroissiens impromptus, l'homme consent à livrer deux informations qui ne font qu'attiser notre curiosité:Marco Polo aurait signé le registre de l'église, et son autographe serait conservé dans les archives du diocèse. Nous avons cherché à vérifier, en vain...
Après Tabriz, notre voyageur emprunte l'itinéraire traditionnel des caravanes:Kashan, Yazd, Kerman. Trois oasis qui offrent fraîcheur et verdure entre deux terribles déserts:le Dasht-e Kavir (désert de sel), gris-noir, et le Kavir-e Lut (désert du vide), beige-ocre. En chemin, à Saveh, on lui montre trois corps momifiés, présentés comme ceux des Rois mages, Gaspard, Melchior et Balthazar. Après trois jours de marche (2) - une heure en voiture -, sans doute à Kashan, célèbre pour la fabrique des mosaïques et des céramiques qui sont l'apanage des mosquées persanes, on lui conte l'histoire du royal trio:alors qu'ils étaient partis avec des cadeaux saluer la naissance de Jésus, ce dernier leur aurait donné une boîte en guise de présent. En l'ouvrant, ils découvrirent une simple pierre. Déçus, ils la jetèrent au sol, où elle produisit une flamme géante. Ils prirent ce feu surnaturel, le placèrent dans un temple et les gens du pays se mirent à l'adorer comme un dieu. Telle est l'origine de la religion zoroastrienne, dite des «adorateurs du feu».
Sur la route des caravanes, nos marchands de Venise durent subir les ardeurs du terrible Kavir-e Lut (désert du vide). (Éric Martin/Le Figaro Magazine)
Malgré six siècles d'islam, ce culte - croyance d'Etat sous l'Empire sassanide (224-651 après J.-C.) - était toujours vivace au XIIIe siècle. Il l'est encore (quoique extrêmement minoritaire:10.000 à 15.000 adeptes, tout au plus) dans la République islamique, notamment à Yazd et à Kerman, qui possèdent chacune un temple du Feu. Dans une vasque sacrée, à l'abri d'une vitre isolant des contaminations extérieures, des mages (prêtres zoroastriens) vêtus de blanc y alimentent un foyer qui couve depuis 1500 ans. Autre vestige des sectateurs de Zarathoustra:les tours du Silence de Yazd, jadis utilisées comme sépultures et juchées sur deux collines. Les cadavres étant jugés impurs et susceptibles de souiller la terre, les zoroastriens y portaient leurs défunts, qui étaient ensuite dévorés par les vautours et les corbeaux. De nos jours, ce rite étant proscrit, ils se contentent de couler leurs cercueils dans le ciment avant de les inhumer.
Yazd est sûrement l'endroit qui ressemble le plus à ce que Marco Polo put voir lors de sa traversée de la Perse. Cette ville-musée, bâtie en adobe (briques de paille et de terre séchées au soleil), surgit et survit au milieu de nulle part grâce à deux inventions ancestrales qui continuent de fonctionner:son réseau d'irrigation (les qanats) et son système d'aération (les badgirs ou tours du Vent). Les qanats sont des canaux souterrains qui vont chercher l'eau du mont Sir (qui culmine à plus de 4 00 mètres) et la drainent jusqu'à la vallée, permettant de cultiver céréales, agrumes et coton. Les badgirs sont des tourelles rectangulaires ou octogonales (parfois plus hautes que les minarets) qui captent le vent, le font descendre vers une citerne d'eau où il se refroidit avant de se diffuser dans les habitations. La climatisation avant l'heure.
Profondément religieuse, Yazd ne se livre guère et on y applique un islam dévot, qui soustrait la gent féminine au regard des étrangers. De hauts murs cernent les habitations et les portes sont munies de deux heurtoirs:un anneau léger pour les femmes; une tige pesante pour les hommes. Elles produisent deux sons différents, de sorte que la maîtresse de maison connaît immédiatement le sexe du visiteur et choisit ainsi qui ira lui ouvrir. Dans les rues, tchador et manteau noir sont de rigueur, ne laissant voir que les yeux (délicatement maquillés, le plus souvent), d'où peut jaillir un regard dur comme une lame ou doux comme un châle... Quittant Yazd vers le Levant, on renoue avec les étendues désertiques.
note messire Polo. Annoncée par les pistachiers (des champs à perte de vue), Kerman, appréciée des caravaniers pour ses hammams relaxants et salvateurs, se dévoile, ultime halte avant le Kavir-e Lut et ses températures infernales (on y a enregistré un record mondial de 72 °C en 2009). Une contrée hostile à tous points de vue. Au XIIIe siècle, des hordes de brigands, les Qaraunas - ramassis de demi-soldes et coupe-jarrets mongols, baloutches, afghans - la sillonnaient afin de piller les convois. Marco Polo dit en avoir été victime, sans donner de détails. De nos jours, la police iranienne y traque les trafiquants de drogue venus d'Afghanistan pour écouler et exporter leurs produits ! Continuité...
Pour se prémunir des Qaraunas, les autorités locales firent construire « pluisours chastiaus et viles qui ont lors murs de terre hauts et gros ». La citadelle de Bam (où l'on tourna Le Désert des Tartares), anéantie par le séisme de 2003, en fut longtemps l'archétype. Moins imposante mais aussi séduisante, la forteresse de Rayen, au sud de Kerman, n'a pas été affectée par les secousses. Avec ses 16 tours de guet et ses remparts de trois mètres d'épaisseur, ce fortin en pisé, romanesque et exotique, a fière allure. Et si l'architecture militaire vous fatigue, n'hésitez pas à faire un détour par Mahan, où les cascades et bassins du jardin Shâhzâdeh, ses palais et ses cyprès, donnent une idée du paradis mahométan (telle est en effet la symbolique des jardins persans).
La cueillette des pétales de rose, à l'aube, près de Qamsar. (Éric Martin/Le Figaro Magazine)
Un aller-retour au port d'Ormuz suffit aux Polo, citoyens d'une république maritime, pour estimer que les boutres arabes, qui ne sont pas « cloués de clous de fer mais cousus de fil », ne sont pas suffisamment solides pour les transporter, eux et leur cargaison, jusque vers l'empire du Milieu. Ils reviennent donc à Kerman et obliquent vers le nord, longeant les Kaluts:des canyons de sable à étages, dont on ignore s'ils résultent de l'érosion ou d'une météorite. Spectacle grandiose. Au-delà, c'est le Kavir-e Lut. L'atmosphère y est étouffante. Rien ne pousse, rien ne vit. Sept jours de marche. Faim, soif, maladies. Lorsqu'ils émergent du désert, vraisemblablement du côté de Mashhad, au nord-est de l'Iran, le jeune Marco note qu'« il y a moult de belles gens et proprement les femmes sont outre mesure belles » (c'est effectivement la réputation des autochtones).
Mais la beauté et le danger vont souvent de pair. Désormais, c'est l'Afghanistan et les sommets du Pamir qu'il lui faudra traverser...
(1) Khan subalterne. A la mort de Gengis Khan, en 1227, son empire fut divisé en quatre sous-ensembles appelés khanats, qui revinrent à ses fils, puis à ses petits-fils: la Chine (fief du grand Khan); la Russie et le Caucase; la Transoxiane (Ouzbékistan) et l'Afghanistan; et enfin, la Perse (incluant l'Irak).
(2) Sur la route de la soie, une journée de marche faisait environ 30 kilomètres, distance moyenne entre les caravansérails, protégés et fortifiés, où se reposaient hommes et bêtes.
CARNET DE VOYAGE
Formalités - Demandez votre visa plusieurs semaines avant le départ auprès du consulat de la République islamique d'Iran, 16, rue Fresnel, 75116 Paris (01.40.69.79.00; www.amb-iran.fr). Secteur économie (01.40.69.79.36).
Organiser le séjour - Plusieurs agences françaises proposent des circuits à thème. Se renseigner auprès de la Maison de l'Iran (office de tourisme de la République islamique d'Iran), 71, avenue des Champs-Elysées, 75008 Paris (01.42.25.62.90 ; www.tourismiran.ir). L'agence iranienne ci-dessous offre également des voyages sur mesure:Marco Polo Iran Touring Company , 1, Mir Emad St, Motahari Ave, Téhéran (00.98.21.8853.0621; www.marcopolo.ir).
Précautions - Nos lectrices doivent impérativement emporter un foulard et des vêtements longs (jambes et bras nus sont à proscrire). Pour les hommes, les shorts peuvent rester au placard. Les cartes bancaires et les traveller's-chèques n'étant pas acceptés, il faut se munir d'argent liquide.
Quand y aller? En été, la chaleur est extrême et peu propice aux visites (particulièrement sur la route de la soie). Les meilleures périodes : avril-mai et septembre-octobre. Comment y aller? La compagnie Iran Air assure deux vols directs par semaine, le mardi et le vendredi. Un troisième vol hebdomadaire est programmé le dimanche, depuis le 4 juillet 2010. 63, avenue des Champs-Elysées, 75008 Paris (01.42.25.99.06 ; www.iranair.com).
Fille du désert, la «noble cité de Yazd» évoquée par Marco Polo occupe un carrefour stratégique. Ici, le mihrab de la mosquée du Vendredi. (Éric Martin/Le Figaro Magazine)
Se loger - La chaîne Pasargad possède des hôtels de bon standing un peu partout en Iran. Assez impersonnels mais confortables. Contact:Pasargad International Hotels Group Tour &Hotel Operator, (00.98.21.2267.4803-4 ou 00.98.22.688.794-8 ; www.pasargadhotels.com). Pour ceux qui souhaitent plus de cachet, trois adresses sympathiques:A Yazd, une maison traditionnelle vieille de deux siècles, avec arcades, bassin et patio:Fahadan Hotel Museum, en face de la prison d'Alexandre (00.98.351.630.0600; info@fahadanhotel.com). A partir de 40 €. A 60 kilomètres de Yazd, sur la route de Kerman, un caravansérail du XVI e siècle transformé en auberge (40 € par personne):Zein-o-Din Caravanserai (00.98.912.379.3841; 00.98.912.371.4296; zinodin2003@yahoo.com). A Kandovan, village troglodyte situé à une heure en voiture de Tabriz, des chambres creusées dans le tuf:Kandovan Laleh Rocky Hotel (00.98.412.323.0191 ; www.irtdc.ir). A partir de 120 €.
Où se restaurer? Pour prendre un thé en fin d'après-midi ou dîner au coucher du soleil, nous conseillons absolument le restaurant du jardin Shâhzâdeh, à Mahan. Un régal pour les yeux, sinon pour le palais. Restaurant Shâhzâdeh (00.98.913.341.1580; e-mail:sib-setar@yahoo.com). A midi, préférez la fraîcheur du hammam Vakil, dans le bazar de Kerman. On peut y fumer une qalya (narghilé) en écoutant de la musique soufi (00.98.341.222.5989).
A lire - Le Petit Futé Iran . Et le Guide culturel de l'Iran, de Patrick Ringgenberg, disponible à la maison de l'Iran.
"Ideas del hombre y más .......".
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