vendredi 5 mars 2010



F,P,D Univers. Corne de l'Afrique : un nouvel océan pourrait voir le jour
Yves Miserey
26/11/2009 | Mise à jour : 11:18

Le phénomène, apparu en 2005, s'étend sur 60km de long : la profondeur est comprise entre 2 et 12 km et l'écartement est de 5 mètres en moyenne. Crédit photo : University of Rochester.
L'ouverture d'une fissure géante dans la croûte terrestre en Ethiopie pourrait marquer le début de la formation d'un océan, selon une équipe de scientifiques internationaux.

Au milieu du mois de septembre 2005, une fissure s'est ouverte dans la croûte terrestre au nord de l'Afar, une zone désertique située à une centaine de kilomètres au sud de la frontière entre l'Éthiopie et l'Érythrée. Elle s'étend sur près de 60 km de long, entre 2 et 12 km de profondeur et son écartement est de 5 mètres en moyenne. On estime qu'environ 2 km³ de magma basaltique se sont injectés dans cette fissure. Cette gigantesque lézarde s'est produite en même temps que toute une série de séismes et une éruption sur le flanc du Dabbahu, un volcan qui culmine à 1 442 m. Depuis, une dizaine d'autres fissures plus modestes se sont ouvertes au sud.


«L'épisode d'ouverture de l'automne 2005 marque sans doute l'instant zéro de l'ouverture d'un océan dans cette partie du monde», estime Éric Jacques, de l'Institut de physique du globe de Paris (IPGP). Avec une équipe de chercheurs de plusieurs nationalités, parmi lesquels un Éthiopien, un Érythréen, un Yéménite, des Anglais, des Américains et des Français, il a participé à plusieurs études consacrées à cet événement tectonique majeur (Geophysical Research Letters, vol. 36, octobre 2009 et Journal of Geophysical Research, vol 114, août 2009). D'autres publications vont paraître prochainement.

La crevasse a été provoquée par l'étirement causé par l'écartement entre l'Afrique et la péninsule Arabique. Son ampleur s'explique par la quantité de magma basaltique disponible sous le rift de Manda Hararo et remonté du manteau terrestre. En effet, l'Afar fait partie de la quarantaine de points chauds de la planète, des endroits où la matière chaude des profondeurs, moins dense que la matière de surface, remonte et perce la croûte.

Les concrétions rocheuses sont aujourd'hui partiellement solidifiées et elles forment une sorte de mur vertical coincé entre les deux parois des fractures. Elles constituent ce que les spécialistes appellent des filons magmatiques ou «dykes» (dikes), du néerlandais dijk qui signifie «digue». Nombre de filons magmatiques sont restés bloqués à 2 km de profondeur à l'intérieur ou au voisinage du mégadyke.

Cette fracture s'inscrit dans un contexte tectonique déjà bien connu. Le célèbre vulcanologue Haroun Tazieff l'avait étudié notamment dans les années 1960. Il avait émis l'hypothèse que la dépression de l'Afar allait s'ouvrir et former un océan. En effet, cette région se situe au point de rencontre de trois axes majeurs. Au nord, les deux rifts océaniques de la mer Rouge et du golfe d'Aden qui, tous les deux à des vitesses comparables (environ 1,5cm/an), écartent le continent africain de la péninsule Arabique. Au sud, le rift continental est-africain qui, d'ici plusieurs millions d'années, à condition que son activité se poursuive, devrait détacher la plaque somalienne du continent africain (voir infographie). Les rifts sont des fossés tectoniques où se concentre la déformation causée par l'écartement de masses continentales. La plupart des rifts volcaniques sont situés au fond des mers ou des océans. «La dépression d'Afar est un véritable laboratoire à ciel ouvert, le seul lieu sur Terre où l'on peut assister au déchirement d'un continent sans devoir plonger à plusieurs kilomètres sous l'eau», souligne Deborah Sicilia dans la thèse qu'elle a consacrée à cette région du monde et qu'elle a préparé à l'Institut de physique du globe de Paris.

Insécurité dans la région

Les mécanismes qui ont provoqué le mégadyke de septembre 2005 sont d'une extrême complexité. La circulation du magma est elle aussi extrêmement difficile à reconstituer. En fait, il y a plusieurs sources magmatiques et non pas une seule comme on le croyait au départ, et la source principale se situe au centre du mégadyke (thèse de Raphaël Grandin en cours d'achèvement à l'IPGP). «On ne comprend pas toute cette plomberie», résume avec humour et humilité Éric Jacques.

L'enjeu est double. D'une part, mieux comprendre ce qui se passe pour être capable d'anticiper et d'avertir les populations d'un éventuel danger. D'autre part, imaginer ce qui pourrait se passer dans les prochains millions d'années à venir.

Globalement, il est prévisible que le nouveau rift va se former le long de la chaîne du Manda Hararo, là où s'est ouvert le mégadyke en septembre 2005. «Dans un million d'années, la dépression de l'Afar se sera ouverte de 30 km supplémentaires», avance Éric Jacques. En revanche, les chercheurs de l'IPGP se demandent où le rift de la mer Rouge et celui du golfe d'Aden vont se rejoindre. Selon Isabelle Manighetti, du LGIT de Grenoble, il est possible qu'en se séparant du continent africain, le petit massif montagneux du Danakil, situé le long des côtes de l'Érythrée, se brise en deux pour permettre la connexion entre les rifts de la mer Rouge et du golfe d'Aden.

Les recherches sur le terrain sont limitées à cause de l'insécurité qui règne dans la région. Dans ce type d'études, les données satellites fournissent de précieuses informations mais doivent être recoupées par des observations faites sur le terrain. Depuis novembre 2007, les chercheurs ont installé en brousse au sud du mégadyke un petit réseau de stations sismologiques. Ils ont déjà pu suivre l'injection de trois dykes et en attendent prochainement un autre.

Les appareils installés sont rustiques et peu coûteux. Les chercheurs craignent en effet qu'ils ne soient vandalisés ou dérobés. Les déplacements dans la région en 4 × 4 sont difficiles. L'installation des appareils de mesure s'effectue parfois de nuit pour éviter d'attirer l'attention des rebelles. Les risques sont tels que les scientifiques connaissant la région deviennent souvent fébriles et préfèrent ne pas s'attarder sur place. «La dernière fois, on n'a pas pu marcher sur la zone de fracture. On espère pouvoir le faire la prochaine fois», témoigne Éric Jacques.


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