mercredi 30 décembre 2009



F,P,D Univers.Hungría: un descuido a otro


Hongrie : d'un oubli à l'autre
François Hauter
28/12/2009 |

Défilé à Budapest,en août 2007,du groupe paramilitaire d'extrême droite« Magyar Garda ». Ses membres sont liés avec Jobbik, un parti hongrois nationaliste et xénophobe. Crédits photo : ASSOCIATED PRESS

Dans ce pays encore marqué par les souffrances de l'histoire, la démocratie est en train de se briser. La classe politique y est tellement démagogique qu'une extrême droite ouvertement antisémite s'apprête à faire un score inquiétant aux prochaines élections.


Téléphone d'une amie, en Alsace : «Je suis effarée, me dit-elle, parce que, dans l'hôpital où je travaille, le personnel soignant qui vote à gauche refuse de se faire vacciner contre la grippe A (H1N1), en signe de protestation contre Sarkozy. Leur devoir n'est-il pas d'abord de se protéger, pour protéger leurs patients ?» À Budapest, c'est le contraire : les gens de droite refusent de se faire vacciner, en protestation contre le gouvernement de gauche. Parfois, en voyage, l'on est confronté à ce genre de reflet, qui vous oblige à prendre un peu de recul. La fanatisation de la vie politique que je perçois en Hongrie m'en offre l'occasion.

C'est entendu, la démocratie repose sur l'opinion publique. Et à l'âge des mass media, c'est un show auquel il faut participer. Le but du jeu étant de remporter les élections, on ne peut réussir que si l'on chasse le chef de l'autre camp. C'est donc une sorte de guerre, pour laquelle mieux vaut disposer d'une troupe obéissante. Un membre zélé de parti doit dénigrer le chef du camp adverse sans états d'âme. Mais ce jeu est risqué. Car l'opinion publique aime la stabilité, elle veut être rassurée, elle n'aime pas que les chefs et ses généraux se montrent agressifs et anxiogènes. La police, les pompiers, les Églises sont les institutions les plus populaires. Tout en bas de l'échelle, dans les sondages d'opinion, apparaissent les parlements, c'est-à-dire des endroits de conflits ouverts. Au fond, nous aimons la démocratie, mais pas le théâtre où se joue la pièce. Lorsqu'elle se résume à un combat exalté entre «bons» et «méchants», lorsque la politisation de la vie publique devient hystérique, sans consensus sur certaines valeurs fondamentales, c'est que les chefs tirent trop sur les ficelles de la démocratie, et qu'elles vont casser. Je ne compare pas la France avec la Hongrie. Mais en Hongrie, la démocratie est en train de se briser. La classe politique y est tellement démagogique qu'une extrême droite hongroise ouvertement antisémite s'apprête à triompher aux prochaines élections, en avril 2010, en posant un sérieux problème à l'Europe.

Un pays au destin déchirant

Dans nos démocraties, l'extrême droite est toujours la voiture-balai des opinions publiques désabusées, des «tous pourris !». Les électeurs soudain se prononcent pour des solutions simplistes, les règles compliquées de la démocratie semblant incompréhensibles et dérisoires à l'homme de la rue parce qu'elles ne répondent pas rapidement à ses problèmes. Ce dérapage de la démocratie, nous l'avons connu en France. Mais ce sont désormais les petits pays européens, ceux qui cherchent leur singularité et leur place parmi les grands, qui sont touchés. L'Autriche et les Pays-Bas en leur temps. La Suisse aujourd'hui. La Hongrie très prochainement. Depuis un siècle, le destin de ce pays est déchirant. Ses dix millions d'habitants broient du noir. Le pessimisme et un certain fatalisme là-bas marquent les propos. Le déclin du pays, à écouter les Hongrois, est une pente raide.

En 1919, pour avoir mal choisi son camp, la Hongrie est démembrée. Le traité de Trianon l'ampute des deux tiers de sa population et de son territoire. L'amiral Horthy, qui dirige le pays en 1920, s'allie à Hitler dans les années 1930, pour tenter de recouvrer ces territoires perdus. Second choix catastrophique. La Hongrie se retrouve encore du côté perdant, occupée par les troupes soviétiques. En 1956, Janos Kadar et les tanks russes écrasent une insurrection menée par le démocrate Imre Nagy. Mais à la fin des années 1980, le régime anticipe intelligemment la chute du communisme. Il s'y prépare, en se positionnant à l'avant-garde des changements économiques. La Hongrie devient «la baraque la plus joyeuse du communisme».

«Notre premier ministre avait étudié à Harvard, avant de devenir responsable de l'économie du pays. Le gouvernement était composé de gens intelligents, très rationnels, se souvient l'écrivain Janosz Miksaapja. I ls imaginaient une économie à la chinoise, et en matière de politique étrangère, une neutralité à la finlandaise. Ils ont donc privilégié la continuité, et cimenté la Constitution de 1949, en rendant obligatoire la règle des deux tiers des voix nécessaires pour modifier les articles les plus importants. Cette Constitution est basée sur la méfiance, elle ne laisse aucune place au consensus. Ainsi, en sommes-nous là où nous étions il y a vingt ans. Cette Constitution, c'est comme si nous roulions dans une vieille Skoda.»

En Hongrie, les succès économiques du régime communiste n'ont pas rendu une franche rupture nécessaire. Le «grand changement» a été tellement doux que les structures n'ont pas été réformées. L'écrivain Peter Esterhazy m'explique : «Après 1989, tout ici a été trop rapide pour les gens. Sous la dictature, l'on survivait comme des animaux. Lorsque la dictature a disparu, nous n'étions pas prêts pour ce quelque chose que l'on appelle “la liberté”. Le principe de la démocratie, c'est de dialoguer, de dialoguer, et encore de dialoguer. Et voilà, nous ne savons pas parler. Alors nous vivons une nouvelle guerre froide.» D'un oubli à l'autre, les souffrances, trop récentes, sont exploitées à des fins politiques par des partis démagogiques. La droite affirme que les socialistes sont des «communistes». Les socialistes traitent les partis de droite de «fascistes». Entre le rouge et le noir, il n'y a rien, sinon de la haine.

Olga Szederkényi est journaliste à la radio MR1. Elle me raconte : «La politique crée en Hongrie une tension énorme. Lorsque je lis dans le train, des voyageurs m'insultent : comment osez-vous lire ce journal ! Des ménages divorcent pour cela. J'évite d'aller voir mon père pour ne pas avoir à subir ses harangues. La politique, dans les familles, c'est un tabou. Ou bien la guerre. Même les professeurs n'osent pas parler de l'histoire et des révolutions à leurs élèves. Le fanatisme est partout.»

Personne à Budapest n'a fêté cette année les vingt ans de la démocratie, les dix années dans l'Otan, les cinq années dans l'Union européenne, et le premier anniversaire de l'entrée dans l'espace Schengen. Une majorité de Hongrois estime que les conditions de vie, loin de s'améliorer, sont devenues plus difficiles. La Hongrie fait songer à la Russie, ou la démocratie est devenue un concept détesté, ce qui autorise Vladimir Poutine à se comporter en autocrate arrogant.

«Mentalement, la Hongrie a divergé avec l'Union européenne, affirme Jozsef Martin, qui a dirigé le journal L'Observateur . Les gens ne se sentent pas citoyens européens. Personne dans ce pays ne s'entend sur des valeurs communes. On ne peut pas nommer ce qui est hongrois, parce que c'est toujours utilisé pour des culpabilisations mutuelles. On a balayé sous le tapis le communisme, l'entre-deux-guerres, l'occupation nazie, les problèmes des Tsiganes, la Shoah… Même les historiens n'en débattent pas.» Ce grand silence pourrit le discours politique. «Nous payons cher le manque de clarification historique, explique Pierre Kendre, membre de l'Académie hongroise des sciences. Les générations, l'une après l'autre, ont été entraînées en Hongrie dans des drames profonds, sans jamais en parler aux générations suivantes.»

30 % de votes extrémistes

Ainsi les Hongrois vivent-ils sans recul, en considérant le passé immédiat, les trois ou quatre dernières années. Dans ce contexte, chaque changement de gouvernement constitue un tremblement de terre. Les sondages sur les prochaines élections donnent 70 % des voix à la droite. À la droite de la droite, des extrémistes pourraient obtenir 30 % des votes. Ils professent ouvertement que les problèmes financiers de la Hongrie sont générés par les juifs, et les difficultés sociales par les Tsiganes. Cette extrême droite avait été réduite à néant par les communistes, après 1949. «Ce qui se produit aujourd'hui est comparable à ce qui se passe lorsqu'on sort quelque chose enfoui dans un congélateur», dit Pierre Kendre.

Ce «quelque chose», cet antisémitisme, est d'autant plus atterrant que la Hongrie n'a jamais été aussi rayonnante qu'au XIXe siècle, lorsque l'aristocratie hongroise s'est entièrement appuyée sur une communauté juive parfaitement intégrée, afin de moderniser la société. La plupart de ces élites ont quitté la Hongrie après 1919, fuyant le communisme. Ces mathématiciens, physiciens, photographes, architectes, chefs d'orchestre, musiciens, comédiens ou réalisateurs ont fait la gloire des États-Unis. Les physiciens derrière la première arme atomique américaine, les meilleurs réalisateurs de Hollywood étaient des juifs hongrois. Ils s'appellent Theodore von Karman, Karl Mannheim, Nicholas lord Kaldor of Newnham, sir Georg Solti, sir Alexander Korda, Brassaï, Michael Curtiz, Marcel Breuer, Laszlo Moholy-Nagy, Joe Pasternak…

Aujourd'hui, les partis de la droite hongroise n'ont pas le courage de dire que le ressort de la compétitivité dans le monde moderne, c'est la responsabilité individuelle. Ils professent que la responsabilité du déclin hongrois, c'est «l'autre», le juif, le Tsigane, voire le «capital étranger». «Le pire dans le communisme, c'est ce qui vient après», dit à Varsovie l'ancien membre de Solidarnosc Adam Michnik. À Budapest, c'est devenu une triste vérité.

"Ideas del hombre y más .......".

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